Beyond Flamenco (La Jota) de Carlos Saura.
Documentaire musical de Carlos Saura.
Avec : Sara Baras, Cañizares, Ara Malikian, Carlos Núñez, Giovanni Sollima…
Durée : 1h27 – Sortie : le 4 janvier 2017.
Synopsis : la Jota, danse et musique importantes dans la culture espagnole, voyage dans le temps et l’espace. Avec Tarrega, Boccherini, Carlos Núñez ou Sara Baras, des artistes d’horizons variés font vivre l’une des sources du flamenco. Après Sevillanas ou Flamenco, flamenco, Carlos Saura poursuit son inventaire musical et chorégraphique.
Carlos Saura est l’auteur d’une cinquantaine de films avec quelques œuvres qui ont marqué sa filmographie : La Caza, 1966 ; Cria Cuervos, 1976 ; Deprisa, deprisa (Vivre vite), 1981. À partir des années 1980, il réalise de remarquables films musicaux.
Des fictions musicales et chorégraphiques : Noces de sang, 1981 ; Carmen, 1983 ; L’amour sorcier, 1986 ; Salomé, 2002 ; Tango, 1998…
Des films documentaires consacrés au flamenco : Sevillanas, 1992 ; Flamenco, 1995 ; Flamenco, flamenco, 2011.
Des films documentaires consacrés à d’autres musiques : Iberia, 2005 ; Fados, 2007 ; Argentina, 2015.
Le titre français est un peu racoleur : Beyond Flamenco pour un film où il est peu question de flamenco mais de La Jota (titre original du film) qui est une danse traditionnelle originaire du nord de l’Espagne : présente en Aragon principalement, mais aussi en Navarre, en Catalogne et jusqu’en Gallice. Beyond flamenco montre la richesse de la jota et nous fait ainsi voyager joyeusement dans ses variations régionales. La direction chorégraphique a été confiée à Miguel Ángel Berna, grand spécialiste de la jota, qui a également collaboré au spectacle Flamenco se escribe con jota.
D’après Sud Ouest Carlos Saura a été très touché par ce spectacle (qui présente d’ailleurs en fond de scène un rideau imprimé d’un dessin agrandi d’Antonio Saura, le frère de Carlos Saura). Un compte rendu détaillé de ce spectacle est disponible sur Flamencoweb.
La question de la relation entre le flamenco et la jota est donc bien présente dans le film. La jota, danse des Pyrénées, est bien loin de l’Andalousie. Mais les flux migratoires du dix-neuvième siècle ont amené des gens du nord fuyant la misère et la guerre dans les ports gaditans. À Cádiz, la rencontre entre le flamenco et la jota aragonaise aurait ainsi donné naissance aux cantiñas et aux alegrias avec le chant d’Enrique El Mellizo qui est par ailleurs l’inventeur de très belles soleares de Cádiz que vous pouvez retrouver dans le livre-CD L’œil de la letra – Soleá. Dans le film, la danseuse Sara Baras interprète une jota en questionnant ce lien entre la jota et les cantiñas.
On peut voir aussi le guitariste Cañizares jouer une Jota de Francisco Tarrega (1852-1909) et montrer comment la jota a nourri la musique classique espagnole.
Dans le même registre, le film montre un fandango (encore un style voisin de la jota) de Luigi Boccherini (1743-1805) interprété magistralement par le violoncelliste italien Giovanni Sollima et un danseur vêtu d’un gilet de torero (peut-être un clin d’œil à la jota Victor el Lusitano jouée pendant la corrida pour les matadors-banderilleros).
Le titre français du film soulève finalement avec justesse cette question des métissages musicaux et chorégraphiques. Beyond signifie littéralement « de l’autre côté », « au-delà » : le film devrait s’appeler plutôt « Beyond jota » mais c’est moins commercial ! Avouons que ce brassage des cultures est parfaitement montré et c’est ce qui rend le film très émouvant.
On peut cependant reprocher à Beyond flamenco un côté esthétisant qui éloigne cette musique traditionnelle de son authenticité, avec l’abus d’effets récurrents chez Carlos Saura : les miroirs, la danse systématiquement filmée en studio, en dehors de son contexte social… La presse française ne manque pas de souligner ces défauts : Le Monde parle d’une « musique incarcérée en studio », La Croix titre : « Beyond flamenco : La jota éreintée » et enfin Les Échos ironisent : « Beyond flamenco : La jota c’est ça ! » en référence à un délicieux sketch de Raymond Devos. Il y démontre ses talents de tocaor, on peut l’écouter sur l’album Deezer J’ai des doutes et il mérite largement de conclure cet article !
© Philippe Grand, janvier 2017.