Carolane Sanchez, « Le corps-palimpseste à travers l’étude de L’apprentissage de Juan Carlos Lérida »
Compte-rendu de lecture d’un article extrait de Le corps, ses dimensions cachées, pratiques scéniques, sous la direction de Guy Freixe, éditions Deuxième époque, collection « À la croisée des arts », Montpellier, septembre 2017, p. 215-225.
Carolane Sanchez est une jeune doctorante, chorégraphe et danseuse. Elle prépare une thèse intitulée « Corporéités plurielles et palimpsestes de gestes : approche pratique de l’esthétique flamenco ». Elle utilise habilement la métaphore du palimpseste qui est initialement un terme archéologique décrivant « un manuscrit sur parchemin d’auteurs anciens que les copistes du Moyen Âge ont effacé pour le recouvrir d’un second texte » (source CNRTL).
Le corps du danseur flamenco peut être lui aussi pensé comme un support d’écritures chorégraphiques. Quelles traces laisse en lui l’histoire du flamenco et dans quelle mesure ces traces font partie de l’esthétique de cette danse ? Cette interrogation est au cœur de ce travail de thèse et elle est également centrale dans notre travail au sein de la collection L’œil de la letra en élargissant le concept au travail des musiciens et des chanteurs.
Sous cet angle, Carolane Sanchez aborde une étude concrète consacrée au spectacle El Aprendizaje de Juan Carlos Lérida.
Ce spectacle, créé en 2012 par Juan Carlos Lérida, prend pour point de départ la nouvelle de Jean-Luc Lagarce « L’apprentissage » publiée dans Trois récits, éditions Les solitaires intempestifs, Besançon, avril 2001, p. 5-35.
La nouvelle donne la parole à un personnage qui s’éveille – on comprend petit à petit qu’il sort d’un coma – et qui écrit un compte rendu ultérieur à cette expérience, décrivant avec une extrême précision tout ce qu’il vit et ressent :
Je suis juste là, j’ouvre les yeux, je les referme et je ne sais rien, je ne pense rien, je ne sais pas, je ne peux rien dire, je ne sais pas si je suis bien ou mal.
Il a tout oublié et redécouvre les sensations et les pensées les plus élémentaires : en commençant par le mouvement de ses yeux, sa présence dans un lieu (un lit dans une chambre d’hôpital), la perception des personnes autour de lui… puis la perception de son corps, des objets qui l’assistent (perfusions, tuyaux, respiration et nourriture artificielles), les déplacements de son corps vers des lieux de soins, les examens et les interventions. Il y décrit la sensation d’avoir un corps traité comme un objet, brutalement. Et c’est progressivement le récit d’un lent retour à la vie et des progrès de ses fonctions cérébrales et motrices. Carolane Sanchez parle d’une « réincorporation ».
Dans son article, la chercheuse décrit le processus expérimental qui a permis de construire le spectacle avec cette question du chorégraphe et danseur : « que se passe-t-il dans mon corps si je tente d’oublier que toute ma vie j’ai été danseur de flamenco, quelles traces visibles subsistent si je tente, à travers ce processus de recherche, d’éliminer mes chemins connus du mouvement, et en quoi cela pourrait-il être encore flamenco ? »
Cet article s’insère dans le livre Le corps, ses dimensions cachées, pratiques scéniques dirigé par Guy Freixe, par ailleurs directeur de recherche de Carolane Sanchez…
Éditions Deuxième époque, Collection « À la croisée des arts »
312 pages, 25 €, EAN 9782377690183
« Cet ouvrage permet de se questionner sur le corps au sens large et développe toute une réflexion sur la conception de la corporéité de l’acteur-danseur en scène.
Le corps, tel qu’il est questionné dans cet ouvrage, tient à la fois du corps visible et de l’invisible qui, comme son ombre, l’accompagne. Celui qui transgresse les limites, brouille les frontières, se plaît aux travestissements, joue sur plusieurs niveaux. Le corps libertaire, festif, ludique, plastique. Dans une perspective pluridisciplinaire, à la croisée des arts du théâtre, de la danse, du mime, du cirque, de la marionnette, nous souhaitons interroger le corps prismatique de l’acteur-danseur en scène, entre organicité et artifice, plasticité et insoumission, liberté et contrainte, fêlure et énigme. »
Ce livre interroge en profondeur la problématique du corps dans les arts de la scène. Il aborde la question de la fragilité des corps, avec notamment la représentation de la violence ou de la transe sur les plateaux, ou la prise de risque au cirque. Il évoque aussi le corps imaginatif de l’acteur, ce que le corps porte d’invisibilité, de mémoire et sa relation avec les morts, on pense évidemment à notre fameux duende flamenco. Le livre présente aussi les thérapies corporelles (technique Alexander, méthode Feldenkrais, Body-Mind Centering…) et leurs échanges fructueux avec les arts du spectacle.
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février 2014, EAN 9782355391729, 26,00 €
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